Dans la gueule du loup

Avides de poésie depuis leurs débuts, les Têtes Raides ont pris pour habitude de glisser un poème dans chacun de leurs albums. « Dans la gueule de loup » apparaît sur le huitième album du groupe, sorti en 1998.
« La langue française domine, voilà pourquoi il te faut la dominer », voilà l’injonction parentale qui poussera Kateb Yacine, fameux poète kabyle, à entrer « dans la gueule du loup » c’est à dire entrer à l’école française. Là où la langue du colonisateur domine. Ce texte s’attaque d’ailleurs à une macabre conséquence de la colonisation : le massacre des algériens à Paris, le 17 octobre 1961. Quelques jours plus tôt un couvre-feu visant les « Français musulmans d’Algérie » avait été décrété par le préfet de police Maurice Papon. Ainsi, près de 30 000 personnes répondent à l’appel du Front de Libération Nationale (FLN) et convergent vers Paris pour ce qui doit être une mobilisation pacifique et hautement symbolique, puisque tenue au sein de la capitale coloniale. Mais la nuit se termine en bain de sang. Au-delà des morts par balles ou noyés dans la Seine, des milliers de personnes, enfants compris, furent conduites vers des stades ou parcs d’exposition où la torture continua encore plusieurs jours. De quoi rappeler les heures les plus sombres de l’Histoire et pourtant, la France fermera les yeux pendant plusieurs décennies, à grands coups de censure et de démentis. Ce fut d’ailleurs le cas de Maurice Papon, jugé pour son rôle majeur dans l’extermination de juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale, rôle qu’il avait savamment su dissimuler dès 1945.
Voilà pourquoi Kateb Yacine interpelle ici les Français : « tu as tout vu », « et maintenant vas-tu parler ? ». Les Têtes Raides mettent ces vers en musique avec leurs instruments favoris et les illustrent par un clip minimaliste où tout est plongé dans le noir, excepté leur fameuse lampe.