Instrument
Bornéo. À cette évocation, se bousculent tout de suite dans nos têtes des images de forêts, de mangroves, de sable fin et d’eau turquoise. L’île, partagée entre l’Indonésie, la Malaisie et Brunei, regorge de richesses, tant naturelles que culturelles. Le sapeh — aussi écrit sape’ — fait partie de celles-ci, principalement dans la partie malaisienne de l’île, surtout dans les communautés Kenyah et Kayan. À l’origine, le sapeh était un instrument à deux cordes et trois frettes : c’est pourquoi son utilisation était limitée aux rituels de transe. On retrouve des traces de son existence au moins au VIIIème siècle, sur des bas-reliefs indonésiens. Aujourd’hui, ce petit luth traditionnel à cordes pincées, sculpté dans le bois, ouvert à l’arrière, est surmonté de trois, quatre ou cinq cordes, l’une servant à la mélodie, les autres à l’accompagnement. L’ajout de cordes à partir du XIXème siècle permet au sapeh d’acquérir ses lettres de noblesse, puisqu’il peut atteindre plus de notes — plus de trois octaves — et élargir ainsi son répertoire. Esthétiquement, le résultat peut être une véritable oeuvre d’art : peinte, finement ornementée… tant au niveau de la tête de l’instrument que des clés, qui servent à tendre ou détendre les cordes.
Souvent, le sapeh accompagne des danses : danse de combat entre deux hommes armés d’épées et de boucliers (musuh), danse de guerre (ngajat)… Mais il peut aussi se suffire à lui-même, et être apprécié en tant que tel. Même avec trois ou quatre cordes, et des frettes à des positions variées, le sapeh offre une infinité de possibilités d’ornementations et de variations, en se basant sur des pièces traditionnelles. Son timbre onirique, dans le registre du rêve, en fait l’instrument-roi pour des morceaux doux, relaxants et introspectifs. Bien loin de rester coincé des siècles en arrière, le sapeh sait s’adapter et laisse aussi la place à des versions électriques qui émergent ça et là. C’est à Sarawak, son État d’origine, qu’a lieu tous les ans le Rainforest World Music Festival, qui fait la part belle à l’instrument.
Intriguant, envoûtant, ésotérique, thérapeutique, le sapeh a su s’affirmer comme un instrument à part entière, bien loin de cette image de guitare simpliste qu’on aurait voulu lui assigner.
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