François Béranger
Troubadour contestataire et journaliste chanteur, François Béranger était un artiste généreux et profondément humaniste. Il a passé sa carrière, principalement au cours des années 70, à dénoncer les injustices, le racisme et l’exploitation sans oublier de chanter le temps qui passe, la solitude et… l’amour ! Toujours présent, mais jamais diffusé en radio, riche d’un public fervent, il a su remplir les salles de concerts et les fêtes syndicales et politiques de gauche, n’ayant de cesse de pointer les travers du monde avec l’intime conviction d’une possible alternative. Il y avait en lui du Dylan, du Brassens et du Félix Leclerc. S’il nous a quittés le 14 octobre 2003, son œuvre continue de courir et d’inspiré nombre d’artistes, des Têtes Raides à Sansévérino, d’Agnès Bihl à Gauvain Sers, qui interrogent le réel en toute poésie.
En 1978, l’heure est à l’agitation. Le camouflet reçu l’année précédente par le gouvernement conservateur de Valéry Giscard d’Estaing à la faveur des municipales emportées par la gauche, donne des ailes à la contestation. Béranger n’est pas le dernier à s’envoler. Ce titre plein de malice est une reprise du Talkin Union Blues des Almanac Singers. Ce groupe vocal nord-americain de tradition folk, réunit dans les années d’après-guerre, des figures majeures de la chanson folk aux Etats-Unis, personnalités liées à la gauche et au mouvement syndical qui devinrent les bêtes noires du maccartysme, cette épuration anticommuniste qui frappa les Etats-Unis dans les années 50. Ils font vivre une solide tradition, portée avant eux par Joe Hill et Woody Guthrie, fameux syndicalistes-chanteurs, qui accompagnaient luttes syndicales, protestations et grèves de chansons qui avaient en quelque sorte valeur de tract ou d’information. Bob Dylan, Bruce Springsteen, Gil Scott-Heron et bien d’autres dont des groupes de rap, sont pour une bonne part les continuateurs de cette tradition combative et non dénuée d’humour.
Ici, François Béranger, ancien ouvrier qui n’a jamais oublié d’où il vient, reprend quasiment à la lettre le texte original qui n’est autre qu’un mode d’emploi pour créer une section syndicale, se méfier des patrons, de leurs sbires et de la police. A la fin, il ajoute une liste d’entreprises françaises qui ont connu des conflits sociaux symboliques dans les années 70 : Renault, Le Joint français, Rhodia, Lip… Et pas de méprise, l’allusion aux “espions japonais” provient du vocabulaire antisyndical en vigueur aux Etats-Unis, toujours prompt à dénigrer les militants, et ici, à les assimiler à l’ennemi de la seconde guerre mondiale, encore fraîche dans les mémoires.
Accompagnée sobrement à la guitare, l’instrument léger et transportable des troubadours du XXème siècle, la voix rugueuse de Béranger et sa diction appuyée conviennent à merveille à cette chanson.plutôt parlée que chantée. C’est la règle du Talkin’ Blues. Sansévérino a fait une version parfaite de cette chanson, tout à fait propice à des vidéos habillées d’images de luttes et manifestations, comme ici.
J’vais vous dire les gars, c’qu’il faut faire
Pour faire augmenter vos salaires
D’abord parler avec les potes
Et faire une section syndicale
Tous solidaires ce sera pas long
pour faire la nique au patron
Moins d’heures de boulot,
Meilleures conditions de travail
Les congés payés,
Les gosses au bord de la mer
Ca semble simple mais ça ne l’est pas
Et j’vais vous expliquer mieux qu’ça
Pourquoi faut rejoindre le syndicat,
Car si vous croyez que le patron lui-même vous augmentera
Vous serez là au jugement dernier,
On sera tous morts et enterrés,
Au Paradis bien sûr
Et St-Pierre fera un bon patron, pardi
Vous savez bien que vous êtes exploités
Mais le patron il dit que non,
Il force les cadences à t’en faire crever,
Il peut être viré mais il ne se laisse pas faire,
Faut tous signer une pétition
Et organiser un meeting
Discutez, donnez votre avis,
Décidez…faites quelque chose
Le patron futé comme un bison trouvera toujours le con d’service
Qu’il enverra dans vot’ meeting pour moucharder et provoquer
Faudra tout d’suite dire au débile
Que le jaune lui va pas au teint
“Arrête de faire la mouche,
T’auras pas d’histoire”
Et le mec aveugle retrouvera la vue
Maintenant votre section est créée,
Vous tenez votre première réunion
Choisissez bien quelques copains
Pour composer votre bureau
L’patron qu’est sourd quand un seul geint, entend très bien le syndicat
Il est beau joueur, hein
Hé, il est tout seul
Allez les gars
On va l’trouver
Mettons que votre boulot soit l’enfer avec un salaire de misère
Le patron se met à gueuler : “feignant, pas de rallonge enfoiré”, mais regardant par la fenêtre il Voit les milliers de gars unis :
“Salaud, affameur, négrier… il bat sa femme, on peut le parier”
Les gars, le plus dur y reste à faire, tout sera bon pour vous foutre en l’air :
La police, la Garde Nationale, c’est un crime une carte syndicale
Vos meetings seront perturbés, on matraquera tout ce qui bouge
“Sale bande de rouges ! Anti-américains ! Espions japonais ! Saboteurs de la Défense nationale”
Mais chez Ford, ce qu’ils ont compris
Et chez Renault ce qu’ils ont compris
Et chez Lip ce qu’ils ont compris et chez RhodiaCéta aussi
Au Joint Français ce qu’il sont compris,
Un peu partout c’qu’on a compris :
Si on s’laisse pas faire par les fachos,
Si on s’laisse pas faire par les provocateurs, par les milices,
Si on s’laisse pas faire par les jaunes,
Par les flics et par le gouvernement,
Si on s’laisse pas baiser par les patrons…
Eh bien les gars, on gagnera !
Enfin ce que je vous en dis,
Prenez-le comme vous voulez,
Mais faites-le.
Musique : Woody Guthrie
Paroles anglaises : Peter Seeger / Lee Hays / Millard Lampell
Traduction/adaptation : François Béranger