Travailleurs, travailleuses... chantez maintenant !

Parcours
Publié le 1 mai 2020
Mis à jour le 6 juillet 2021

V.
Le costard du prolo

Le Bleu, Yves Jamait, 2015

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Qui est Yves Jamait ?

Voici un bel auteur-compositeur-interprète grandi dans la veine de Maxime Leforestier, Brassens bien sûr et autres Henri Tachan, Alain Leprest ou Anne Silvestre et Têtes Raides, ces artistes qui ne passent jamais ou peu en radio mais remplissent les salles de concerts et n’en finissent pas de donner à la chanson française des mots, des images, des humeurs et des mélodies qui la font briller. Né à Dijon le 25 octobre 1961, il tentera plusieurs métiers, son diplôme de cuisiner sous le bras. Mais la guitare le démange et il se met à écrire. La chance s’en mêle : repéré par Jean-Louis Foulquier, l’historique animateur de France Inter, il sort un premier puis un second disque en 2006, se trouvant invité dans de prestigieux festivals de chanson qui lui permettent de se hisser parmi ceux qui comptent vraiment. Quelques Olympia et Casino de Paris plus tard, Jamait a imposé une griffe très personnelle et discrète. Sa casquette vissée sur la tête, son air de figurant d’un film du cinéma italien et une forme de gouaille naturelle sur un air d’accordéon dessinent un personnage attachant qui continue de sortir des disques et de produire des concerts de haute tenue, comme Mon Totem en 2019.

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Yves Jamait sur la scène Zebrock de la Fête de l'Humanité

Le bleu, Yves Jamait

3:33

Quel en est le contexte ?

En 2015, est pour la France une année terrible : les 7 janvier, l’attentat et la tuerie de Charlie-Hebdo provoquent une sidération nationale, une vague de tristesse où se mêlent colère et sentiment d’impuissance. Elle s’achève le 13 novembre avec la terrifiante turerie du Bataclan : des gens meurent pour avoir écouté de la musique. Le besoin de cohésion, le sentiment qu’unis on est plus forts et meilleurs unanimement partagés voleront en éclat quelques mois plus tard quand la loi travail met le monde du travail, ouvriers en tête, sens dessus-dessous : des droits et des conquêtes sociales sont remis en cause au nom de la rentabilité accrue et de l’efficacité disent ses tenants. Le monde ouvrier qui avait massivement élu le Président Hollande y perd son latin et y gagne une sourde colère : le sentiment de ne plus compter, d’être une variable d’ajustement et d’être privé de sa dignité gagne les usines et les ateliers. Double peine : c’est aussi le moment où la réduction de la dépense publique se traduit par la fermeture de milliers de lits d’hôpitaux et de postes d’enseignants. On ne tardera pas à en faire l’amer constat.

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Le coût de la crise des "subprimes" : pauvreté et chômage à la hausse.

Que dit "Le Bleu" ?

Toute en finesse et en douceur, cette chanson au vocabulaire somptueux nous propose une habile et riche déclinaison du bleu, cette couleur que nous associons à nombre d’émotions - les yeux ?- des souvenirs - la mer ? - ou à des fonctions utiles - la carte ? jusqu’à en oublier l’usage qui longtemps l’a caractérisé : le bleu de travail, le bleu de l’ouvrier, le costume du prolo. La chanson est conduite par l’expression d’une fierté en rien ostentatoire, tout en humilité, juste la fierté du boulot bien fait comme sans doute Yves Jamais, son auteur, l’entendait dire quand il était gosse, là-bas, à Dijon. A rebours des caricatures du monde ouvrier qui ont fleuri depuis qu’il n’est plus à la mode de l’être, cette chanson est emplie d’une empathie tendre, d’une forme de respect loyal qui prend un sel particulier en cette époque confinée où l’on redécouvre que ce sont les ouvriers et leurs descendances qui montent, seuls, au front de la production, faire le boulot. La mélodie est limpide, les arrangements, piano et quatuor de cordes, confondants de grâce. Elle est parue en 2015 sur l’album Je me souviens.

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Lafont, le must du bleu de travail

Les paroles de "Le bleu"

C’est pas le bleu cyan du myosotis
C’est pas le bleu profond des abysses
C’est un bleu qu’est pas bien fleur bleue
Tu vois le bleu de méthylène
Ou celui des yeux de Marlène
C’est pas le même
C’est pas le bleu des tourmalines
Les saphirs des aigue-marine
C’est pas le bleu des caraïbes
C’est pas le bleu des monochromes
Du clin ou du ciel de la Drôme
En automne
Le bleu d’ici
On le suspend au porte manteau
Le bleu d’ici
On se le remet sur le palto
Et au boulot
Ce n’est pas le bleu des glaciers
Ni le bleu méditerranée
C’est pas le bleu de la mer noire
C’est ni cobalt ni outre-mer
Pas bleu comme la carte bancaire
C’est plus clair
Ca n’est pas vraiment un bleu froid
C’est pas non plus le bleu roi
Du drapeau de la république
C’est sûrement pas le bleu layette
Ça se tricote pas ce bleu ça se jette
À la retraite
Le bleu d’ici
On le suspend au porte manteau
Le bleu d’ici
On se le remet sur le palto
Et au boulot
Le bleu d’ici
On le suspend au porte manteau
Le bleu d’ici
On se le remet sur le palto
Et au boulot
C’est pas le bleu cyan du myosotis
C’est pas le bleu profond des abysses
C’est un bleu qu’est pas bien fleur bleue
Tu vois le bleu de méthylène
Ou celui des yeux de Marlène
C’est pas le même

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Le blues des bleus

"1000G", par Oré, 2019

3:47

Qui est Francesca Solleville ?

Née à Périgueux en 1932, la jeune Francesca, prénom qui lui vient de sa mère, réfugiée italienne antifasciste, s’éprend du chant lyrique. Mais ce sont les bouillonnants cabarets de la rive-gauche de la fin des années 50 à Paris qui l’attirent. Elle y croise Léo Ferré, Jacques Douai, Barbara et bien sûr Jean Ferrat, son grand ami, autant de personnalités qui l’encouragent et l’aident à se frayer le chemin d’interprète qui sera le sien, nourri de poésie. Luc Bérimont, Aragon, Neruda, Mestral et combien d’autres lui fourniront des textes pour des chansons qu’elle interprète avec passion de sa voix forte. Femme de gauche, liée aux combats antifascistes, la militante féministe sera de maints galas de solidarité et autres manifestations, alors que les radios font mine d’oublier sa grande valeur artistique.

« Les mains d’or » : l’amour du travail ouvrier

Extraite de l’album Arrêt sur image paru en 2001, cette chanson écrite par Bernard Lavilliers et composée par Pascal Arroyo aborde de front la question de la fermeture des usines et de la fin du monde ouvrier sur un air de tango. La France des années 2000 est marquée par la déprime générale. Les grandes luttes sociales et la révolution ne mobilisent plus, alors que la précarité et le chômage augmentent. L’extrême-droite progresse en se nourrissant de la peur, de la colère et du sentiment d’impuissance.
Les paroles chantées par Bernard le baroudeur sont un cri d’amour pour le travail émancipateur, pour la beauté de l’ouvrage bien fait et des mains qui construisent et produisent. Un cri d’autant plus déchirant que ce travail est balayé d’un trait de plume ou d’un clic au profit de calculs froids et sans pitié. Dans la musique des « Mains d’or », l’accordéon se déploie et laisse entendre une double sensibilité. Cet instrument perçu comme très franchouillard, symbole de la vieille France populaire, structure ici une musique suave et sensuelle d’inspiration sud-américaine. « Les mains d’or » sonne comme une ode à une époque révolue, chantée avec dignité, la tête haute.

"Le Poinçonneur des Lilas" : un travail qui tue

“J’suis l’poinçonneur des Lilas
Le gars qu’on croise et qu’on n’regarde pas”

Telles sont les paroles de la chanson qui a rendue célèbre Serge Gainsbourg. Elles annoncent très clairement la couleur : celle du récit d’un personnage au métier invisibilisé, triste et oublié.
Nous sommes à la fin des années 50. Le jeune chanteur et parolier vit à Paris, près de la Porte Dauphine, où il prend régulièrement le métro. Gainsbourg observe les gestes des poinçonneurs, ces employés du métropolitain chargés de valider les tickets des voyageurs à l’aide d’un poinçon. Un jour, il ose questionner un de ces hommes : “Quels sont les espoirs après une journée de travail ?”, ce à quoi le poinçonneur lui répond : “Voir le ciel”. L’inspiration est toute trouvée.

Dans “Le Poinçonneur des Lilas”, Gainsbourg se glisse dans la peau et la tête d’un homme en proie à un ennui mortel.

Bien qu’il puise à foison dans les champs lexicaux du voyage, de la navigation et de la fête (route, vague, brume, carnaval…) pour ses couplets, Gainsbourg répète inlassablement le mot “trou” dans ses refrains. Cette occurrence symbolise un net retour à la réalité qui s’impose aux rêveries du poinçonneur.

La chanson donne corps et voix à celles et ceux qui exercent un métier considéré comme vide de sens, aux conditions de travail déplorables, piégés par un train de vie aliénant. Ce thème travers les décennies. En 2021, un autre chanteur de talent, Stromae, interroge lui aussi la vie de ces travailleurs invisibles et méprisés dans “Santé”, un morceau remarqué.

Revenons à Gainsbourg. La fin dramatique du morceau, qui se conclut par le suicide du poinçonneur, ouvre un gouffre de réflexion effrayant. Au-delà de ces métiers abrutissants, n’est-ce pas la monotonie de la vie qui peut tous nous rendre fou ?

Titre-phare de l’album Du chant à la Une !, son premier, publié en 1958, “Le Poinçonneur des Lilas” fera de Serge Gainsbourg la coqueluche du Tout-Paris et une vedette de la chanson. Vingt ans plus tard, l’apparition des tourniquets automatiques fera disparaître le métier de poinçonneur, devenu obsolète. La chanson de Gainsbourg en gardera la mémoire et désormais, une station de métro aux Lilas porte le nom de célèbre chanteur. Joli hommage aux forçats du quotidien.

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