Posons-nous cinq minutes à Saint-Denis. Écoutons les bruits de la ville et regardons les passants vaquer à leurs occupations. Laissons-nous entrainés par la belle voix grave d’un artiste hors-norme qui nous guide à travers ses rues.

La vie de Fabien Marsaud s’écrit comme un film. Enfance sans histoires dans cette bonne vieille banlieue de Saint-Denis. Il a deux passions, le sport et les mots. Seulement, la première le pousse dans une tragédie: un accident terrible manque de le briser, mais le Grand Corps Malade trouve en lui-même les ressources pour renaître. À coup de volonté, il surmonte ses blessures. Sa voix grave soutiendra désormais son évident talent pour dire les joies et souffrances de la vie ; la sienne, les nôtres. De festivals en ateliers, il fait découvrir le slam à des auditoires toujours plus attentifs jusqu’en 2006 où sa voix rencontre enfin le large public.

Automne 2005, les violences secouent Clichy-sous-Bois, puis de nombreuses villes de banlieues françaises après que deux adolescents, Zyed et Bouna, soient morts électrocutés alors qu’ils étaient poursuivis par la police. La colère éclate dans cette ville où domine un sentiment de mise à l’écart. Les vidéos des voitures brûlées, des vitrines brisées et des affrontements avec les forces de l’ordre font le tour des télés et des écrans, avides d’images chocs. Les politiques s’en mêlent, certains prônent la tolérance zéro pour cette « racaille ». Le reste du monde prend peur. Le contexte, ultra-tendu, étouffe l’autre visage des banlieues et de la Seine-Saint-Denis. Quelques voix, comme celle de Grand Corps Malade, s’attachent à montrer la complexité et la richesse des « cités ».

« Saint-Denis » est la seconde piste de Midi 20, premier album de Grand Corps Malade sorti en 2006. C’est à cet instant que l’histoire du slammeur tourne au conte de fées : le voici en tête des meilleures ventes de disques… toutes catégories confondues. Sa sincérité et son authenticité bouleversent le plus large public. Il est « Révélation de l’année ».

D’où qu’ils viennent, quelles que soient leurs ethnies, leurs régions, ce sont d’abord les gens, jeunes, vieux, passants, voyous, qui font la ville et sa vie. Et puis les magasins, les restos, les odeurs. Grand Corps Malade en fait un slam, cette forme de poésie qui se proclame à vif dans les bistrots. Ce slam-là vaut bien des bouquins de sociologie. Tous nos univers quotidiens s’y bousculent, comme dans la rue bondée aux heures de pointe. Entre le Café Culturel et l’hypermarché (où l’on trouve même de la « choucroute hallal »), les cercueils des Rois de France et le tramway, Grand Corps Malade nous fait la visite. Grand témoin, journaliste au regard acéré, il est le chroniqueur d’une ville qu’il aime et connaît sur le bout de la langue. À travers les mots, nous nous promenons dans Saint Denis, la « ville aux cent-mille visages ».
Ici la « musique », très évocatrice, est composée uniquement des bruits de la ville : éclats de voix du marché, claquements de talons, pleurs de bébé, sonnerie du tram et du métro.