Après un siècle d’apocalypse, nous espérions, nos parents et grands-parents avant nous, que s’ouvrirait une ère nouvelle dans laquelle coopération, amitié et compréhension mutuelle imposeraient leur douce loi et que les différends trouveraient leur lieu de règlement pacifique, dans l’enceinte de l’Organisation des Nations Unies (ONU), constituée pour cela.
Hélas, la guerre continue d’imposer son rythme mortel. Mais la paix, condition première de notre avenir en a un beau devant elle si son idée se répand puis s’impose. Pour cela, rien de tel que des chansons. La preuve par les années 70, quand la détestation de la guerre et l’amour de la paix étaient régulièrement et partout mis en musique. Écoutez donc.
Iconographie :
Symbole de la paix, Nicolaï Grigoriev, Vie Publique
Colombes dans le ciel, Henri Matisse, 1946.
Les Chœurs de l'Armée Rouge, un best seller du disque (image Musidisc)
Dans les années 50, les Soviétiques ont une formidable machine culturelle : les Chœurs de l’Armée Rouge et de nombreux ensembles de chants et danses des 15 républiques qui la forment. Fondés par Alexandre Alexandrov en 1928, compositeur de l’hymne soviétique, cet ensemble promeut une musique aux accents spectaculaires, nourrie du folklore russe et de la tradition militaire de la marche. Son fils Boris en prend la direction après sa disparition en 1946. Ces dernières années encore les Chœurs de l’Armée Rouge étaient accueillis dans nombre de salles de concerts du monde entier. Outre l’attrait que peuvent produire ces chœurs puissants sur un public forgé dans l’académisme musical, on devine que l’aura de cette vaillante armée a longtemps été la cause de ce succès.
En 1945, l'Armée Rouge jette les symboles nazis aux pieds du Kremlin (Image Tass)
En 1961, le poète soviétique Evgueni Evtouchenko écrit ce poème mis en musique par Édouard Kolmanovski. Evtouchenko, importante figure de la littérature et militant des droits de l’homme, évoque avec beaucoup de sensibilité les années noires de la Grande Guerre Patriotique, avec des accents pacifistes d’une grande sincérité. Interprétée d’abord par le chanteur et comédien Mark Bernes, la chanson devient très vite populaire en URSS et dans le monde. Les Choeurs de l’Armée Rouge la mettent à leur répertoire et en font un hymne à l’usage politique évident. Mais, dans le contexte des années 60 où se tourne (bien imparfaitement) la page de Staline, quand l’URSS affiche des réussites extraordinaires (l’espace et Gagarine) et une amélioration sensible des conditions de vie, cette chanson dit vraiment ce que ressentent les citoyens soviétiques : en finir avec la guerre et le dire haut et fort, sourire aux lèvres.
Le poète Evgueni Evtouchenko, né en 1932 à Zima, URSS - mort en 2017 à Tulsa, USA ( image : La Côte - CH)
Au sortir euphorique de la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide fait basculer le monde dans une période de peurs collectives et de doutes. Sur le plan symbolique, les deux systèmes antagoniques, l’Occident capitaliste et l’Est du socialisme autoritaire se disputent les consciences à coup de modèles de société, d’utopies. Les Etats-Unis disposent d’Hollywood inépuisable et flatteuse source d’émotions et d’images, qui leur permet de ne pas s’embarrasser du jazz qui soulève l’empoisonnante question de la ségrégation raciale. Dans le contexte de la guerre conduite par les Etats-Unis en Corée, l’Union soviétique, forte de son prestige avance un profil pacifiste, nourri du prestige encore vif de son rôle dans la victoire sur le nazisme et pousse ses Chœurs de l’Armée Rouge. En Union soviétique et dans les démocraties populaires comme on appelait les pays du bloc de l’Est, il y a évidemment un vaste registre de chansons, mais elles sont soumises au filtre d’une censure politique qui non seulement veille à la conformité du point de vue, mais reste coincée dans une approche très académique de la musique. La fracture est nette entre musiques folkloriques et musiques savantes : il n’y a pas de place pour des forme liées à l’improvisation et le jazz est né aux États-Unis, ce qui le rend plutôt suspect. Les autorités s’efforcent d’exploiter l’empathie que provoque l’uniforme soviétique avec cette chanson qui connût son moment de gloire. Hélas, la promesse a fait long feu. De Budapest en 1956 à l’Ukraine en 2022, la belle et solennelle promesse s’est vue dramatiquement trahie à plusieurs reprises. Pourtant, on voudrait bien les croire, ces paroles !
Paradoxe : des militaires chantent une chanson pacifiste (image Melodiya)
Les Russes veulent-ils la guerre. Demandez-le aux silences des labours et des champs Aux peupliers, aux bouleaux, Demandez-le à ces soldats, Dormant sous les bouleaux, Leurs fils vous…