Maxime Le Forestier, premier disque en 1972 (image Polydor)
Maxime (Bruno, en vrai) Le Forestier (né en 1949 à Paris) est un des plus fins et populaires auteurs-compositeurs-interprètes de notre pays. Surgi sur la scène musicale dans la foulée de 1968, il est vite adopté, avec ses longs cheveux rebelles et sa barbe contestataire, par une jeunesse en rupture de code et impatiente de promouvoir d’autres façons de vivre. L’écho du “peace and love” de Woodstock est encore vif et la version française de la comédie musicale Hair ouvre grand les portes d’un monde d’amour et de paix. Guitare acoustique en bandoulière, Le Forestier chante des chansons aux allures de poèmes qui révèlent une plume qui ne fera que se parfaire au fil des ans. La liberté individuelle, l’amour mais aussi l’antimilitarisme et un regard critique et chaleureux sur le monde nourrissent ses chansons, dont les fameux “Ambalaba”, “Passer ma route”, “Les jours meilleurs”, “L’éducation sentimentale”, “Né quelque part”. Avec 16 albums et 7 enregistrements en public, Le Forestier est à la tête d’une belle discographie et d’un magnifique répertoire.
Maxime Le Forestier chante pour les Restos du Cœur en 2013 (image fr.wikipedia.org)
En sol majeur, un accompagnement sobre pour une chanson au vitriol née de sa propre expérience au 13ème régiment de dragons parachutistes de Dieuze (Moselle). Le Forestier ne ménage pas ses mots pour exprimer sa détestation, bien sûr des militaires, mais là, précisément, des parachutistes qui sans doute en sont l’expression la plus repoussante à ses yeux. On y entend même un fond de mépris dans la description du parcours du jeune évoqué dont il ressort qu’il s’est laissé embrigader, qu’il est en quelque sorte le jouet de l’institution militaire. Une grave accusation surgit, qui valut à l’auteur quelques ennuis avec des parachutistes, quand il fait allusion à la torture, dont nous savons aujourd’hui qu’elle a effectivement été largement pratiquée en Algérie. Nouveau coup de canif : puisque que cela est fini, notre parachutiste est employé à encadrer les appelés du contingent (eux savent lire) ce qui est un “ boulot de nana “, pourraient penser les fiers à bras habitués aux embuscades. Chanson coup de poing, “Parachutiste” a valu, on l’imagine, une solide inimitié au chanteur chez les militaires.
Affiche antimilitariste de mai 1968 (image https://placard.ficedl.info/)
Affiche antimilitariste de mai 1968 (image CRAS Toulouse)
Cette chanson vaudra à Le Forestier une solide estime dans la jeunesse lycéenne et estudiantine qui voyait approcher l’heure du service militaire (18 puis 12 mois) et une sérieuse inimitié des milieux militaires et autres défenseurs de l’ordre. Des concerts furent interrompus et des menaces proférées. Mais par milliers les jeunes en reprenaient les accords et la chantaient en chœur. Car au fil des années 60, l’antimilitarisme a gagné la jeunesse en même temps que le refus de la guerre et le désir de paix gagnaient la société. Déjà, à la fin des années 50, l’Appel de Stockholm, gigantesque pétition pour le désarmement nucléaire lancée par d’éminentes personnalités artistiques et scientifiques, relayée en France par le Mouvement de la Paix, avait réuni plus de 4 millions de signatures, record jamais atteint. De fait, l’armée, le service militaire et l’uniforme ont mauvaise presse chez les jeunes. Le souvenir de la guerre d’Algérie et du coup d’Alger, tentative de coup d’Etat conduit par “un quarteron de généraux en retraite”, selon de Gaulle, ancrent l’idée d’un “monde de fachos” héritage fané d’une France qui n’est pas celle dont rêve la jeunesse, pénétrée par les idées libertaires, révolutionnaires, féministes donc antimilitaristes, qui ont fleuri en 1968 à quelques encablures d’un an 2000 qui s’annonce prometteur. Mais, ce sera une autre histoire.
Le coup d'Alger le 13 mai 1958 (image France Soir)
Tu avais juste dix-huit ans Quand on t'a mis un béret rouge Quand on t'a dit : "Rentre dedans Tout ce qui bouge." C'est pas exprès qu' t'étais fasciste Parachutiste Alors, de combat en…
« Calaveritas » est le premier titre publié par Ana Tijoux sur non propre label, Mizuko Records. Celle que l’on connaît principalement pour son rap acéré et ses textes engagés fait pour l’occasion un détour vers de nouvelles esthétiques. Sur ce titre, elle est accompagnée par Celso Piña (1953-2019), un chanteur, compositeur et accordéoniste, figure centrale de la cumbia mexicaine.
« Calaveritas » est une balade en mémoire aux défunts que chacun et chacune porte en soi. Elle est un subtil équilibre entre peine et joie, reposant sur un jeu de sonorités et des paroles poétiques. Le morceau unit des éléments de boléro et de valse péruvienne, au travers d’une guitare, d’un trio de cuivres et d’un cajon péruvien. Les voix d’Ana Tijoux et de Celso Piña se mêlent sur des paroles touchantes, rendant hommage aux personnes perdues. Ils chantent le manque de ces défunts, qui ne nous quittent vraiment jamais. Cependant, le morceau ne se veut pas être que tristesse. Il reprend en ce sens les croyances mexicaines autour de la fête des morts (día de los muertos). Le titre de la chanson s’y réfère explicitement. Calaveritas. Ce sont ces petites têtes de mort en sucre qui représentent les défunts le 31 octobre au Mexique et qui se déclinent en masques et maquillages. Ainsi, les défunts se pleurent autant qu’ils se célèbrent. La musique est une invitation à danser, à valser, sous les sonorités réconfortantes des cuivres et au rythme du cajon.
« Calaveritas » rejoint la bande originale du documentaire La victoire de Pierre qui aborde le travail humanitaire du prêtre Pierre Dubois pendant la dictature militaire de Pinochet au Chili. Pierre Dubois a notamment exercé dans le bidonville La Victoria, foyer de résistance au régime. A la fin du morceau, sa voix résonne : « No es suficiente afirmar que la justicia tarda pero llega. La justicia que no se ejerce cuando corresponde, ya es injusta. » / « Il n’est pas suffisant de dire que la justice arrive tard, mais qu’elle arrive. La justice qui n’a pas lieu en temps donné est déjà injuste ». Sous ses airs de balade, Ana Tijoux donne à « Calaveritas » un sous-texte politique. Lorsqu’elle joue le morceau en concert, elle fait référence aux personnes décédées et disparues lors de la dictature et leur rend hommage en versant un verre de vin sur scène.
“Les Guerriers” figure sur Cool Frénésie, le 5ème remarquable, quoique déroutant, album des Rita Mitsouko. Il est publié au tournant du siècle, en 2000 pile, sept ans après son prédécesseur, Système D. Fatalement il est attendu avec envie et méfiance, quand tant d’eau a coulé sous les ponts depuis les premiers pas du duo en 1984. Qu’a de neuf à nous dire Les Rita Mitsouko ?
Parmi les chansons d’une assez grande variété, “Les Guerriers” est un réquisitoire assez costaud contre la guerre et ses guerriers, soldats et autre chair à canon. Avec l’ironie qu’on lui connait le duo évoque ces figures déjà largement popularisées dans les médias, au cinéma, dans la BD et dans les jeux vidéo du guerrier harnaché de cuir et de fer, solide et indestructible, resplendissant et caparaçonné, “en direct à la télé”, muni de son portable. Les images apocalyptiques des fameuses frappes chirurgicales qui promettaient des guerres propres sont ici tournées en dérision. Même le volet féminin de cette mascarade militariste est pointé du doigt : “voyez le bataillon des Amazones pilotant des ordinateurs”. Encore une fois, remarquons combien les chansons et les artistes racontent leur époque (guerre de Yougoslavie, Afghanistan et la guerre du Golfe) et annoncent celle à venir (la guerre d’Irak) avec ses “ailes volantes triangles noir mat [qui] passeront en rase-motte”. En écho au titre de l’album, le cataclysme de la guerre se retrouve dans la frénésie de la musique : la rythmique incessante du titre provient d’un séquenceur style Drum’n’bass, les boucles instrumentales (ligne de basse, guitare) reviennent sans cesse, seule la voix se permet des envolées lyriques par-dessus la masse bouillonnante avant de conclure sur le mot “paix”.