C’est juste avant le début de la Grande Guerre en 1913 que naît Charles Trenet, à Narbonne. Le petit Charles qui zozote la Marseillaise pataugeant dans la Mer Méditerranée, est devenu le père de la chanson française avec des chansons intemporelles telles « Y’a d’la joie », « Je chante » ou « Douce France ». Et « La Mer », chanson qui, curieux hasard, porte le nom d’une œuvre de Claude Debussy, créée au début du siècle. Poète, écrivain, féru de peinture il est l’immense auteur-compositeur-interprète qui invente la chanson française moderne. Charles Trenet commence sa carrière à 19 ans fasciné par le jazz et se passionne à raconter ses souvenirs heureux, à jouer avec les mots et laisser son imagination divaguer. Une vision optimiste de la vie que la Seconde Guerre mondiale n’effacera pas. Ses rythmes joyeux et swing sont aiguisés par son voyage en Amérique en 1945 où il rencontre les grands musiciens jazz de l’époque comme Duke Ellington et Louis Armstrong. Certaines de ses chansons feront le tour du monde. Icône française, il est décoré Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres en 1982, décoration qui officialise l’influence qu’il a exercé et qu’il exerce encore sur les artistes. Il disparaît en 2001 à Créteil.

Créée en 1943, « La Mer » n’est publiée qu’en 1946, en même temps que sa version anglaise. Quel destin ! Au début, Trenet n’y croit pas. Est-ce l’euphorie de la Libération, cette explosion de joie collective après les sombres et dures années de l’occupation nazie et de la collaboration pétainiste, la violence de la guerre et de ses privations qui font de cette chanson l’immense succès populaire que tous nous fredonnons ? Cette sortie plus tardive s’explique par la répression du régime de Vichy en 1943, qui n’épargne aucuns artistes. On reprocha à Charles Trenet de ressembler « aux clowns judéo-américains » et on parle de « Douce France » comme d’un acte de résistance non violente. Mais en 1943 Vichy est sous grande tension : le régime collaborationniste du maréchal Pétain perd de son influence, la répression interne s’accroit et dès l’automne 1942 l’étau se resserre avec le débarquement des Alliés en Afrique du Nord française. Il faut attendre 1944 avec le débarquement des Alliés en Normandie pour que le régime de Vichy cesse. 1946, ce sont les jeunes années de la Libération, un moment de fête et de célébration même si les conditions de vie restent difficiles pour les Français (par exemple, le rationnement ne cessera qu’en 1948).

Méditation nourrie des observations d’un voyage, « La Mer » est un standard : une œuvre incontournable de la chanson française. On en recense plus de 4000 versions et un nombre incalculable de citations, dont une des plus connues figure dans le « Gaby, Oh Gaby » d’Alain Bashung. « La Mer », c’est l’enfance de Charles Trenet : « L’été ma grand-mère poursuivait les moustiques en les applaudissant ! » . C’est les joies des bains de mer malgré la guerre, à la station balnéaire « La Nouvelle », au bord de la mer catalane. La chanson ondule comme la masse d’eau qu’elle décrit. C’est une échappatoire, un moyen de courir après l’enfance pour échapper à la guerre. En effet, on entend dans « La Mer » une humeur tendre et joyeuse mais aussi la nostalgie du temps passé : la France d’avant-guerre. Pour nous transmettre ses sentiments, Charles Trenet est moderne un peu à la manière des impressionnistes : il mêle poésie noble et chanson de rue et renouvelle notre regard sur la nature et le terroir.