C’est une belle histoire du rock français : fondé par Jean-Philippe “JiPé” Nataf en 1982, en faisant un clin d’œil aux Clash, ce magnifique groupe anglais, référence du moment, le groupe sort un très beau Jodi en 1986 puis entame avec l’arrivée du claviériste et guitariste Jean-Christophe “Jean-Chri” Urbain, un chemin vers le succès. Mais sans compromis : Les Inno’ font la musique qu’ils ont toujours voulu jouer. Une pop acoustique, délicat mix des Beatles bien sûr et de l’énergie rock de la scène anglaise dont Clash est le groupe phare. L’album Fous à lier, le second du groupe, comporte 12 titres, rencontrera un vif succès et sera suivi d’autres tout autant passionnants. Après une période d’interruption qui voit les deux protagonistes multiplier projets personnels et collaboration, le duo se reforme en 2013 pour un nouvel album paru en 2015 et multiplie les concerts devant un public fervent. En 1992, quand sortit Fous à lier, les Innocents furent le groupe résident de Zebrock au Bahut, le projet éducatif de Zebrock en Seine Saint-Denis : plusieurs centaines de collégiens les ont rencontrés au fil de répétitions magiques avant deux grands concerts avec l’écrin de cordes de l’Orchestraordinaire, la formation classique réunie pour l’occasion.

Un peu groggys, on tourne le dos aux années 80 et on commence à mesurer les dégâts. Désillusion sociale, confusion politique, progression de l’extrême droite et de ses idées noires : la crise fait du vilain, notamment dans les périphéries appauvries. Hésitante la France vote de justesse le Traité de Maastricht qui ouvre le grand marché européen des productions délocalisées là où les salaires sont bas, ultra bas, toujours bas. Le bal de la mondialisation ouvre ses portes. Ironique coïncidence : la même année ferme l’historique usine Renault de Billancourt, bastion ouvrier s’il en est et ouvre, sur des terres très fertiles de l’autre côté de la région parisienne, le complexe EuroDisney : fini l’turbin, vive l’usine à loisirs ! En 2020 la crise du COVID-19 conjuguée à celle du climat mettra en lumière les absurdités et les gâchis de tout cela. La musique de danse scintillante et bruyante qui a dominé, marque le pas et nombreux sont celles et ceux qui cherchent l’apaisement dans des formes plus calmes, privilégiant les sonorités chaudes de l’acoustique et la grâce des harmonies vocales. Les Inno’ sont en France les chefs de file de la tendance.

Un arpège cristallin, un tempo vif et le chant voilé de JP. Le titre démarre et nous embarque au bout du monde, là où finit la terre, un autre Finistère, endroit apaisé où s’estompent les disputes, “nos escarmouche et nos peurs imbéciles”, un endroit pour renouer les fils d’un dialogue amoureux malmené par les jours qui “nous abiment” et découvrir “ que sous la patine du temps, il y a des roses, des jardins fertiles”. Les harmonies vocales au parfum sixties entre Beatles et Crosby, Stills, Nash And Young, cet autre quatuor de rêve, sont parfaites et font mouche d’emblée. Les percussions sont feutrées, les guitares acoustiques donnent une ambiance boisée et, petite idée géniale, un accordéon étoffe le tout. Longtemps honni de la sphère de la pop parce qu’il incarnait ce qu’il fallait détester : la musique des vieux, cet instrument populaire opère alors un retour en grâce et sa richesse harmonique et le son chaleureux de son soufflet séduisent une génération de jeunes musiciens. Cette chanson, et une belle poignée d’autres parfaitement réussies, ont déclenché un véritable engouement qui a porté le groupe, presque inquiet, dans les hauteurs du succès et de ventes de disques conséquentes.