Plus habitué à écrire sur des thèmes plus légers, Jean-Louis Aubert, chanteur du groupe Téléphone, a lui aussi tenu à partager ses angoisses sur le temps qui s’écoule, bien qu’il n’ait que 27 ans au moment de l’écriture de ce morceau.
Le groupe Téléphone au complet sur la pochette de « Crache ton venin », leur deuxième album, 1979
Groupe de rock français phare des années 1970-1980, Téléphone est composé de quatre amis parisiens : Jean-Louis Aubert (guitariste, chanteur et parolier), Louis Bertignac (guitariste, chanteur), Corine Marienneau (bassiste) et Richard Kolinka (batteur). Le groupe connaît un succès fulgurant, grâce notamment à ses tubes « Hygiaphone », « La bombe humaine » puis « New-York avec toi » ou encore « Un autre monde ». John Lennon avait dit, quelques années avant l’explosion du groupe : « Le bon rock français, c’est comme le bon vin anglais, ça n’existe pas ». Désolé John, si on n’a toujours pas trouvé de bon vin anglais, Téléphone a, en publiant cinq albums mélangeant hard-rock, pop et parfois chanson française, prouvé d’une belle manière que tu t’es bien trompé sur ce coup-là.
Le rock, c’est que pour les Anglais ? (Flavio Gasperini via Unsplash)
« Le Temps » figure sur le quatrième album de Téléphone, Dure Limite paru en 1982 et vendu à plus de 700 000 exemplaires. Installé au sommet du rock français, très gros vendeur de disques, le groupe commence à connaître le tangage et le roulis qui affectent les groupes confrontés à un succès rapide et massif. Il tient bon et son nouveau label, Virgin, mise sur une reconnaissance internationale. Une version anglaise du disque est même réalisée mais ne sera pas diffusée. Une tournée aux Etats-Unis connaîtra d’ailleurs un succès encourageant. Mais la concurrence rôde en France : Trust et Indochine sont eux aussi plébiscités, et surtout, la mode est en train de changer. La new wave s’impose partout et laisse peu de place aux formats traditionnels du rock dont Téléphone est caractéristique. Téléphone rencontre là sa dure limite.
« Le Temps » est loin d’être le plus grand succès du groupe, resté dans l’ombre des tubes comme « Cendrillon » ou « Dure limite ». Avec un son beaucoup plus « sale » que beaucoup d’autres chansons du groupe, ce morceau hard-rock est caractéristique de l’énergie du groupe. Cependant, le texte est assez noir. Peu ou pas d’introspection ici : les paroles présentent le temps qui s’écoule comme une fatalité à laquelle l’humain doit s’accommoder, en « oubliant d’oublier qu’on va tous y passer ». Même si Jean-Louis Aubert, chanteur du groupe et parolier de la chanson, n’a pas encore trente ans lorsqu’il écrit cette chanson, il est très lucide et semble conscient qu’il va vieillir, lui aussi. Jeunes et ardents, revêches à l’autorité des adultes, ces vieux, les musiciens du rock se voient vieillir non sans angoisse. Les Who n’avaient-ils pas dit : j’espère mourir avant d’être vieux ! Jean-Louis Aubert a dû le méditer.
Grain de sable malin qui regarde tomber Un à un tes copains au fond du sablier. Grain de sable certain qui regarde passer, N'oublie pas d'oublier que toi, tu vas passer. Le tunnel de verre…