Deux peuples, deux cultures, deux espaces différents et une délivrance : le blues. Touaregs et Afro-Américains ont trouvé dans le blues un mode d’expression qui leur a permis de s’affranchir de leurs souffrances.

Tinariwen, ou la preuve que la musique est une arme. Composée de musiciens touaregs, cette formation née en 1982 lors d’un festival à Alger, est consubstantielle des luttes d’indépendance conduites par ces peuples de l’Afrique subsaharienne contre la répression de leur aspiration à la liberté et l’indépendance par les différents gouvernements algérien, malien et nigérien - encore un des fruits amers de la colonisation française de cette région du monde.
Né dans des combats armés, le collectif s’est transformé en groupe de musique dans des combats culturels gagnés haut la main : connue dans le monde entier, la formation jouit d’un grand prestige et incarne et popularise la culture des Touaregs, ces hommes et ces femmes nomades attachées à un mode de vie singulier dans le désert.

Leur musique, mêlant habilement blues, rock et traditions des nomades du Sahara, exprime magnifiquement les sentiments de solitude née des profondeurs du désert. Les percussions, les guitares électriques et acoustiques, ainsi que les instruments traditionnels, accompagnés de chants en langue tamasheq, nous transportent dans l’univers poétique d’un peuple tout entier. Les mélodies nous emmènent en voyage, au rythme paisible des chameaux, évoquant l’exil et l’espoir. Depuis 1992, Tinariwen parcourt les scènes mondiales, décrochant en 2012 le prestigieux prix du meilleur album « Musique du monde » aux Grammy Awards et assurant les premières parties de groupes internationaux tels que les Red Hot Chili Peppers. En 2023 ils sortent un leur 9ème album du nom de Amatsosou, dans lequel on retrouve une mélodie country et une autre tout droit venu du Mali. Ces deux airs vont venir s’assembler et former parfaitement cet air mystérieux et hypnotisant tel qu’ils ont l’habitude de le faire généralement.

Dans les sociétés touarègues la poésie est un mode d’expression courant. Pratiquée par les hommes, elle s’accompagne d’instruments comme le tambour tinde, la vièle monocorde imzad et du luth à trois cordes tehardent, d’où naît la musique touarègue. Elle va se mouvoir au fil des voyages et connaîtra un réel essor dans les années 1960. En effet, durant la décolonisation se constituent les états du Mali, de l’Algérie et du Niger sans tenir compte du mode de vie nomade et des aspirations des Touaregs, “les hommes bleus”, les hommes libres. Vingt ans plus tard un mouvement politique d’autodétermination se structure autour des ishumars, les réfugiés et les exilés politiques touaregs installés aux quatre coins du Sahara. Les ishumars deviennent des apprentis soldats et un conflit armé éclate en 1990. Les membres de Tinariwen sont des ishumars, certains ont pris les armes et aujourd’hui ils utilisent la poésie et leurs instruments, dont la guitare amplifiée pour faire connaître leurs revendications, qui malgré les accords de paix en 1996, restent actuelles.

“Sastanàqqàm” qui signifie “je te questionne” est une ode au Sahara, cet espace singulier qui a façonné la vie du groupe. Ce désert, zone de vie et de conflit, de liberté et de fuite, de richesses et de dénuement, nous est raconté par la voix profonde et éraillée de Ibrahim ag Alhabib, le chanteur-guitariste, soutenue par la ligne rythmique de la calebasse et de la basse. On sent l’esprit de communauté nous envahir lorsque les musiciens reprennent en chœur le refrain énoncé par le chanteur, répétition langoureuse typique de la musique touarègue. Et nos oreilles se laissent porter avec plaisir par cette mélopée entêtante et vagabondent sur les notes électriques et envoûtantes des guitares. Elwan, le 8ème album de Tinariwen transporte l’auditeur enchanté au cœur du blues touareg.

L’expression Desert Blues (ou blues du désert) est souvent utilisée pour désigner un style musical du Sahara, a priori hérité du blues.

Le blues, genre musical afro-américain, est né dans le Sud des Etats-Unis avant l’abolition de l’esclavage (1865). Il reflétait alors les dures conditions de vie des personnes qui l’interprétaient. Teinté d’une certaine mélancolie, il était, le plus souvent, joué à la guitare, chanté en anglais. Le blues a, bien sûr, évolué, s’est ouvert à d’autres instruments, et influencé la naissance de nouveaux genres, comme le jazz ou le rock. Il s’est rapidement exporté hors des Etats-Unis, raison pour laquelle on le croit père du Desert Blues.

Ce style évoque généralement le blues des Touaregs, peuple nomade berbère du Sahara (rendu célèbre par le groupe Tinariwen), et semble effectivement s’inspirer du blues américain, malgré ses sonorités orientales et chants dans leur langue natale le tamasheq , notamment car il fait systématiquement usage de la guitare.