Toujours sur la route, le blues, musique américaine, se retrouve aujourd’hui joué au quatre coins de l’Afrique. Mais quels sont les liens entre le blues et les cultures africaines ? Et pourquoi est-il arrivé là ? Ce parcours vous propose de prendre le chemin historique du blues : de sa racine au bord du Mississippi, nous traverserons l’Atlantique vers le Mali, puis nous poursuivrons notre route au Maroc, bivouaquerons à Madagascar, pour achever notre “road trip” au cœur du Sahara. Le blues se diffuse en suivant les traces des hommes, leurs cultures se croisent et se répondent enrichissant le blues et les messages qu’il porte. Musique de revendication, témoignage de tourments, il est aussi musique d’affranchissement, d’harmonie, de rencontre et de célébration.
Entrez dans le blues de Muddy Waters : un blues électrique, une voix sombre, chaude et dramatique qui fait écho aux douleurs de générations d’Afro-Américains.
Portrait de Muddy Waters par Paul Natkin, via WireImage
Muddy Waters, McKinley Morganfield de son vrai nom, naît en 1913 à Rolling Fork dans le delta du Mississippi, où les eaux sont boueuses (muddy waters). Orphelin à l’âge de 3 ans, il grandit dans les conditions rudes de la plantation Stovall à Clarksdale auprès de sa grand-mère. Autodidacte, à 5 ans il sait jouer de l’accordéon et de l’harmonica puis à 17 ans de la guitare sous l’enseignement du grand bluesman Son House. Solitaire et nomade, il se produit dès 1940 dans de petits concerts avant d’être repéré en 1941 par Alan Lomax, le fameux musicologue qui collecte les musiques du Sud et l’enregistre pour la Bibliothèque du Congrès, équivalent de notre BNF. Sa carrière se lance quand installé à Chicago il électrifie son blues. Il y fonde le Chicago Blues Band et signe un contrat avec les disques Chess en 1948. Sa réputation grandit, il passe en radio, fait un tube avec sa chanson “Rollin’ Stone” et part même en tournée dans les années 1960, notamment en Europe. Le public est complètement bouleversé par sa musique puissante, presque violente. Il continue les enregistrements et produit quelques uns des grands standards du blues, écrits avec son complice Willie Dixon, et, chose rare pour les musiciens afro-américains, il vit bien de sa musique. Il enchaîne les tournées et reçoit un Grammy Award en 1977. Son dernier concert est donné à l’automne 1982 avec Eric Clapton, un de ses fervents admirateurs. Il disparait à l’âge de 70 ans, en 1983. Muddy Waters incarne la seconde génération de bluesmen, dont la musique née au coeur de l’abrupt delta du Mississippi s’est électrifiée et a conquis le monde.
Au croisement de la route 61, « La Route du Blues », et de la route 49. The Crossroads, à Clarksdale, Mississippi est l’endroit où le mythique bluesman Robert Johnston aurait vendu son âme au diable. Il en fera une chanson, « Crossroad Blues » en 1937.
Le blues de Muddy Waters raconte l’histoire du Mississippi : la déportation des Africains arrachés à leur culture et à leur terre pour travailler comme esclaves dans les exploitations agricoles du Sud des Etats-Unis. Plus qu’une musique, le blues c’est la reconstruction d’une culture. Langage profane et intime, il est marqué de traditions orales très rythmiques, amenées par les esclaves, et de leur infinie tristesse. Leur évangélisation (car les Maîtres doivent recommander leur âme au Seigneur) produira une musique sacrée, avec ses prières chantées, le negro spiritual, puis gospel, tandis que les worksongs, appels rythmés entre récit et chant, les feront chanter au rythme harassant des travaux. Leur quotidien dur et violent imprègne les chansons qui parlent d’alcool, de misère, voire de famine. Mélopée répétitive construite sur des boucles de 12 mesures dont l’agencement singularise les morceaux, le blues déborde des campagnes et entre en ville quand l’abolition de l’esclavage « libère » les esclaves. C’est pourquoi il parle aussi de la route : les bluesmen voyagent, gagnant trois sous ou un repas chaud grâce à un harmonica facilement transportable et à leur guitare. Le blues que porte Muddy Waters, c’est cette lamentation d’un peuple qui porte malgré son désarroi l’espoir de jours meilleurs, sur terre.
“Rollin’ Stone” est le portrait de Muddy Waters : un homme solitaire, orphelin, tel une pierre qui roule, toujours sur la route, appelant sur son passage les femmes dont le mari est absent puis repartant, seul. Muddy traduit son vagabondage dans son jeu musical : dénudé, il joue uniquement avec sa guitare et sa voix. On entend d’abord à la guitare une phrase musicale qui se répète, grave et appuyée, elle rappelle le balancement d’un train. Puis vient la voix : un chant expressif presque plaintif qui entre en question-réponse avec les notes aiguës de la guitare qui suivent les blue notes ces notes qui créent de la tension et de la mélancolie, typiques du blues. Cette chanson est toute une histoire, c’est une adaptation de “Catfish Blues”, une des premières chansons qu’il a apprises et celle qui marque sa carrière. Un groupe de rock britannique, puis un grand magazine bimensuel américain, emprunteront leur nom au « Rollin’ Stone » de Muddy Waters…
Well, I wish I was a catfish, Swimmin in a oh, deep, blue sea I would have all you good lookin women, Fishin, fishin after me Sure 'nough, a-after me Sure 'nough, a-after me Oh 'nough, oh 'nough,…
J’aurais aimé, être un poisson-chat [sous-entendu "un escroc"] Nageant dans, oh, une mer bleu J’aurais toutes les belles femmes Bien sûr, après moi Bien sûr, après moi Oh bien assez, oh bien assez,…