En 1985, personne ne passe à côté du rythme chaloupé et entêtant de “Marcia Baïla” : un nouveau vent souffle sur le paysage musical français et il est incarné par les Rita Mitsouko. Derrière ce nom improbable, Catherine Ringer et Fred Chichin forment à la ville comme à la scène l’un des couples les plus fascinants des années 80.
Ils se rencontrent à Paris en 1979 alors qu’ils travaillent tous les deux pour la même comédie musicale. Lui est musicien, elle est chanteuse, et tous les deux décident de déserter le spectacle au bout d’une semaine de répétitions. « Quittons cette galère et faisons un groupe de rock ! » énonce Fred à sa future partenaire : il n’en fallait pas plus pour que débute l’histoire des Rita Mitsouko.
Groupe de rock, oui, mais pas que ! Les « Rita » n’imposent pas de limites à leurs créations, ils produisent sans relâche et se nourrissent aussi bien du funk et de la new wave que des créations de l’avant-garde picturale, si bien qu’aucun de leurs albums ne se ressemblent vraiment. Cette iconoclastie leur permet de charmer l’Angleterre et les États-Unis, et de séduire Tony Visconti, le producteur de David Bowie. Cette collaboration donne naissance en 1986 à The No Comprendo, deuxième album autant, si ce n’est plus mémorable que le précédent : le groove inimitable d’”Andy” et les paroles inoubliables de “C’est comme ça” font l’unanimité.
Les années 90 et 2000 sont moins prolifiques que les précédentes, mais le succès des Rita Mitsouko est durable, et le couple continue de remplir les salles de concert de France et d’ailleurs. Sur scène, l’expérience est grandiose et décalée, tantôt acoustique ou orchestrale, elle est immortalisée à plusieurs reprises par les chaînes de télévisions.
Ralenti par la maladie de Fred Chichin au début des années 2000, le duo semble revenir au meilleur de sa forme en 2007 avec la sortie de Variéty, onze dates à la Boule Noire et un concert anniversaire à la Cigale, une salle qu’ils avaient inauguré vingt ans plus tôt. Mais à cette époque, en avril, personne ne se doute que ce septième album serait le dernier. Le 13 novembre 2007, Catherine Ringer monte seule sur la scène de l’Olympia, et quinze jours plus tard, on apprend avec stupeur la mort de Fred Chichin à l’âge de 53 ans des suites d’un cancer diagnostiqué deux mois auparavant.
La perte de Fred Chichin signe la fin des Rita Mitsouko, mais pas celle de Catherine Ringer, qui remonte sur scène seulement quatre mois après le décès de son acolyte et père de ses trois enfants, pour finir la tournée qu’ils avaient entamée. En solitaire, la voix de Catherine Ringer continue de porter l’héritage des Rita.
S'en va dans la campagne Va et vient Poursuit son chemin Serpentin De bois et de ferraille Rouille et vert de gris Sous la pluie Qu’il est beau Quand le soleil l'enflamme Au couchant à…
La fin des années 1970 marque un tournant : les rêves de changement ont tourné court avec le cri désespéré des punks, « No future », le chômage et un terrible nouveau mal d’amour: le sida. Russes et Américains réchauffent la guerre froide et on est à deux doigts de la guerre des étoiles, la vraie… Si des progrès de la science et de la médecine rendent optimiste, on commence cependant à penser que la chic planète ne tiendra pas le choc, la nature est trop maltraitée. Tristesse nationale : la mort de Claude François en 1978 plonge ses fans dans le désarroi et la variété perd un de ses meilleurs représentants. Mais dans les clubs, le disco est à son apogée, la new wave anglaise renouvelle le rock et le rap fait ses premiers pas avec Rapper’s Delight.
Les Rita Mitsouko excellent à nous surprendre. Ils parodient joyeusement la chanson jazzy du même nom des années 1950 et la transforment en un mambo endiablé. La musique sautillante aux accents très synthétiques a des sonorités “à l’ancienne” et la voix de Catherine Ringer, haut perchée, est presque agaçante (agacer, elle adore ça !). Le chant saccadé est presque chaotique et la mélodie entêtante est portée par un rythme entraînant qui évoque le roulement des trains sur les rails. Il faut voir le clip. Il met en scène une étonnante sarabande bariolée avec des musiciens et danseurs qu’on croirait échappés d’un cirque bengali, ponctuée d’images grotesques, grimaçantes et douloureuses du visage de Catherine Ringer. Seule allusion au propos : les danseurs s’approchent d’une clôture barbelée, la destination du petit train !
Avec l’art du décalage qu’on leur connaît, les Rita détournent ici une ritournelle mineure d’André Claveau parue en 1953. Le petit train n’est pas cette fois prétexte à un voyage bucolique et l’humour n’est pas de mise : c’est le souvenir du processus de déportation et d’extermination mis en place par les nazis de 1940 à 1945 qui est évoqué par cette chanson et les camps de la mort sont au bout du voyage. Mais qui le sait ? Qui le devine en voyant au loin serpenter le petit train ? Artiste peintre juif polonais, le père de Catherine Ringer, chanteuse des Rita, fût déporté : c’est bien sûr son souvenir qui habite la chanson.