Locataire à vie de la “Maison bleue” qu’il chantait dans les années 70, Le Forestier est depuis toujours un auteur sensible aux turpitudes du monde. Avec pertinence et sincérité, cet humaniste nous touche par ses textes aux révoltes parfois virulente mais toujours intelligentes et sensibles. Auteur très prisé et populaire, il est devenu tout comme son maître Georges Brassens, un artiste incontournable de la chanson française
Maxime Le Forestier
Années toc, années fric, les années 1980 voient arriver les grandes catastrophes sur fond d’insouciance. D’un côté sida, Tchernobyl, guerre en Afghanistan, famines en Afrique et misère dans les grandes villes, de l’autre publicité, golden boys et dollars à go-go. De grandes espérances politiques ont conduit la gauche au pouvoir en 1981 et les mentalités avancent: la peine de mort disparaît, les droits des homosexuels progressent, on s’ouvre aux expressions artistiques du monde avec la world music et tout se modernise. Mais la télé, le loto et le marketing commencent à prendre le pouvoir et « chacun pour soi, chacun chez soi » devient la règle. C’est sur fond de fatalisme, d’impuissance et de renoncements que commencent à s’ancrer des idées brunes, les idées du Front National.
A courir du Pacifique à l'Inde, on voulait quoi ? On voyait partout des sardines Alignées dans de l'huile de moteurs. Fallait donc qu'on couse à nos Jean's Des fils de couleurs. On était nés…
Orfèvre de l’arpège sage sur les cordes nylon de sa guitare acoustique dans les années 1970, Le Forestier change de braquet dans les années 1980 avec cet album et la chanson du même titre. A la manière d’un Peter Gabriel en Angleterre, il s’empare du synthétiseur, instrument roi de la décennie en cours et explore de nouveaux territoires sonores. Avec un rare bonheur il fait entrer l’électronique dans sa musique. Le bourdon qui court tout le morceau est agrémenté de traces sonores, jusqu’au cri des oiseaux, qui lui confèrent une mélancolie sans pareille, appuyé par la voix plaintive d’un chanteur désabusé. Passée un peu inaperçue lors de sa parution, cette chanson est remarquable par ses arrangements de synthétiseurs, apportant l’ambiance brumeuse et froide qu’appelle le texte.
Maxime Le Forestier évoque avec un rien d’amertume les rêves de fraternité qui s’en sont allés, la victoire de la guerre et du fric. En évoquant « les sardines dans l’huile de moteur », la chanson ironise sur « la vie moderne » et exerce une critique virulente de la société de consommation et de son rythme étouffant : métro, boulot, dodo. Une réalité à cent lieues des rêves du jeune Maxime et de sa génération. Du reste, en 1983, l’ambiance il faut s’en souvenir était plutôt crispée : sur fond d’angoisse à la guerre nucléaire, l’air du temps n’en menait pas large.
Cette chanson dresse le bilan de toutes ces chères années placées sous le signe de l’utopie. Que pouvaient espérer toutes ces âmes nées sur des ruines ? Juste des jours meilleurs. Toutefois, le souvenir des utopies des années soixante, quand Bob Dylan chantait « The times they are a-changin’ » reste vivace et il reste dans les derniers vers, un goût d’espérance, avec l’allusion émue à « Imagine », la chanson de John Lennon.