Léo Ferré et la musique classique, c’est une grande histoire d’amour. Quand il était petit il dirigeait des orchestres imaginaires sur les remparts à Monaco. Son premier grand choc musical, Léo Ferré le ressent véritablement lorsqu’il entend pour la première fois les notes de la 5e symphonie de Beethoven, alors qu’il déguste un chocolat chaud avec sa mère dans une crémerie. La musique du compositeur allemand bouleverse l’enfant. Par la suite, Léo Ferré assiste à de nombreux concerts et forge sa passion. En coulisses, il regarde Toscanini diriger l’ouverture Coriolan de Beethoven.
Au début des années 70, Léo Ferré connait une période de doute. Il lui est très difficile de diriger des orchestres en public. Son désir de mettre la musique « dans la rue » se heurte à de nombreux obstacles. Il ne répond pas – ne veux pas répondre – aux attentes politiques d’une partie de son public issu des mouvements de mai 1968 qui vient perturber, à coups de crachats, et de canettes de bière, ses spectacles. Ferré pense arrêter la scène.
C’est dans ce contexte qu’il écrit Muss es sein ? Es muss sein !
La pochette de l'album Je te donne
En 1976, Léo Ferré enregistre avec l’orchestre symphonique de Milan l’album Je te donne, composé de six textes superbes, dont le fameux « Muss es sein, es muss sein ! », où il apostrophe Beethoven, qu’il fait suivre d’une interprétation de l’ouverture de « Coriolan ». Le musicien prend le risque de l’hétérogénéité — d’aucuns pourraient s’étonner de la présence d’une pièce de Ludwig van Beethoven dans un album de ses chansons — pour affirmer haut et fort son dédain du cloisonnement et l’unité fondamentale de la musique. Et par ricochet son droit à exister dans celle-ci, quoi qu’en puisse penser l’establishment musical qui le rejette.
On doit ces fameuse paroles « Muss es sein? Es muss sein! » à Beethoven lui-même: un certain Monsieur Dembscher devait cinquante forints à Beethoven, et le compositeur, éternellement sans le sou, vint les lui réclamer. « Muss es sein ? le faut-il ? » soupira le pauvre M. Dembscher, et Beethoven répliqua avec un rire gaillard: « Es muss sein ! il le faut ! », puis inscrivit ces mots avec leur mélodie dans son calepin et composa sur ce motif réaliste une petite pièce pour quatre voix. Le même motif devint un an plus tard le noyau du quatrième mouvement du dernier quatuor opus 135. Beethoven ne pensait plus du tout à la bourse de Dembscher. Les mots « es muss sein ! » prenaient pour lui une tonalité de plus en plus solennelle comme si le Destin en personne les avait proférés.
La Musique... la Musique... Où elle était la Musique ? Dans les salons lustrés aux lustres vénérés ? Dans les concerts secrets aux secrets crinolines ? Dans les temps reculés aux reculs…