Sourire en coin et fine moustache : c’est par une image chaleureuse et débonnaire que Louis Chedid s’est installé dans le paysage musical à la charnière des années 1970 et 80. Des chansons finement écrites, des mélodies bien calibrées et très familières portées par une voix chaude ont garanti un succès durable à ce troubadour sympathique, fan de cinéma. Ses chansons inspirées de scènes du quotidien, tendrement introspectives font mouche à chaque fois.
Fils de l’écrivaine Andrée Chedid et père de Matthieu alias -M-, il conduit sa carrière avec une tranquillité toute méditerranéenne que l’on devine héritée d’Égypte et du Liban, pays de ses parents. Homme discret mais construit dans de solides convictions, il n’hésite pas à parler fort quand l’état du monde le préoccupe, ce qu’il fît avec vigueur en 1985, avec la chanson « Anne, ma sœur Anne ».
Louis Chedid
Si j' te disais c' que j' vois v'nir, Anne, ma sœur Anne, J'arrive pas à y croire, c'est comme un cauchemar... Sale cafard ! Anne, ma sœur Anne, En écrivant ton journal du fond d' ton…
La pochette de Anne ma sœur Anne
La musique a sa télé : MTV. Les clips font fureur, les radios libres deviennent commerciales. Un nouveau média, le minitel arrive dans les foyers en même temps que les premières consoles de jeu : tellement archaïques aujourd’hui. Le progrès du FN aux élections de 84 inquiète. La mort de l’étudiant Malik Oussékine poursuivi par la police à l’issue d’une manifestation à Paris crée un choc. Les Restos du Cœur sont fondés par Coluche en 1985… pour un an ! Les groupes de rock alternatifs, Bérurier noir, Mano Negra et Garçons Bouchers en tête prônent l’indépendance et l’insoumission de la jeunesse. Le hip hop se diffuse en France depuis 1984 grâce à l’épatante H.I.P. H.O.P., émission de TF1 présentée par Sidney : énorme succès dans la jeunesse, durée éphémère sur les écrans.
C’est une chanson écrite après des élections marquées par une nette progression de l’extrême droite et du Front National. Choqué et inquiet, Louis Chedid trempe sa plume dans l’encre à mémoire. Appuyant sa chanson sur le personnage touchant d’Anne Frank, cette jeune juive hollandaise qui, cachée dans une pièce secrète de son appartement, tint un journal durant l’occupation nazie. Il fait part de son inquiétude et de sa crainte de voir revenir la haine, le racisme et l’antisémitisme. Cafard, cauchemar: hélas ce n’est pas un mauvais rêve. Cette « nazie nostalgie » a, aux yeux de Chedid, bénéficié de trop d’indulgence et de complaisance. Ce texte nous rappelle ce qu’écrivit l’écrivain antinazi allemand Bertolt Brecht : « Il est encore fécond le ventre d’où surgit la bête immonde » et nous met en garde sur le retour d’idées brunes et noires.
Quand il publie cette chanson, Louis Chedid est un chanteur reconnu, apprécié pour des chansons finement introspectives et ironiques chantées sur des airs bien troussés. Anne, ma sœur Anne, fait un peu figure d’un pavé dans la mare. Enregistrée dans les années 80, cette chanson en porte la griffe sonore : le synthé mène la danse et permet de réunir la sonorité de plusieurs instruments. Le parfum jazzy de la chanson et la voix doucement feutrée ne laisse pas deviner l’aridité du propos. Sans doute est-ce pour se faire entendre du plus grand nombre que Louis Chedid choisit de mettre du swing dans sa chanson.