Curieuse époque aux nombreux paradoxes. La France et l’Europe sont sorties non sans privations des ruines de la guerre. On reconstruit et on tente d’inventer une nouvelle société sur les principes du programme du Conseil national de la Résistance, avec d’importants bouleversements sociaux : la sécurité sociale, les nationalisations dans l’industrie et les banques, la fonction publique, les comités d’entreprise. Le confort moderne fait son apparition : machines à laver, réfrigérateurs, tourne-disque ues pour soirées mambo et cha-cha-cha. Mais des grèves dures, des guerres coloniales et la peur atomique plombent le climat.

Son nom ne vous dit probablement rien. Pourtant quel grand bonhomme. Quelle vie ! Elle débute en Europe de l’Est, quand les juifs subissent là-bas les ignobles pogroms*. Il faut fuir. Direction la France, « terre d’accueil », où Nathan Korb - son vrai nom - fait ses premiers pas dans la chanson sous les encouragements de Jacques Prévert et Louis Aragon. Mais voici la guerre. Il rejoint la Résistance. Dans les années cinquante, il est un des chanteurs parmi les plus populaires, auteur de nombreux succès que reprend (entre autres) Yves Montand, au style proche du sien. Toute sa vie, Lemarque a célébré en chansons ce Paris qui avait su l’accueillir. On est souvent du pays où l’on vit.

*Progrom: Lynchage massif, spontané ou prémédité, des juifs ou autres minorités ethniques d’Europe ou du Proche-Orient, accompagné par la destruction des biens (maisons, boutiques, centres religieux, etc) (source: Wikipédia)

Si les paroles sont une création originale de Francis Lemarque, la musique, elle, reprend « Les Nuits de Moscou », une chanson russe très connue composée en 1955. L’orchestration originelle comporte de la balalaïka, ce luth triangulaire typique des musiques slaves. À la mode des années 50, la chanson s’ouvre sur des chœurs un peu jazzy, on y entend un clavier chaud, une guitare et une harpe discrète. Le propos optimiste et tendre est quasiment déroulé au pas avec une certaine solennité. On ne doit pas oublier le fait qu’il s’agit au départ d’un chant patriotique célébrant l’amour des soviétiques pour leur capitale.

À son retour du Festival mondial de la jeunesse à Moscou en 1957, Francis Lemarque a dans la tête une chanson qui passait en boucle sur les radios russes et qui l’obsède. Il mettra deux ans à l’adapter en français. Ce sera une chanson d’amour doucement mélancolique sur le temps qui passe et la jeunesse qui se fane au rythme des saisons. Le muguet et ses clochettes symbolisent le printemps, c’est à dire la jeunesse, sans cesse retrouvée par la grâce de l’amour qui, lui, ne subit pas les outrages du temps.