Bizarre, bizarre…

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Mis à jour le 16 avril 2019

Bizarre, bizarre…

Souviens-toi qu’il est loisible de le dénicher en tous temps, en tous styles, en tous âges. On le débusque, dans les musiques étranges, incongrues, choquantes, où les notes claquent, frottent et s’entrechoquent, où les mélodies se télescopent. On le repère dans les textes abscons, foutraques, sibyllins ; dans des histoires où l’on ne comprend rien ; à se demander parfois de quelle texture était la moquette qui les inspirait… Il se cache même parfois dans des langues inventées. Le bizarre se tapit dans le crâne de tous créateurs dont on ne sait quelle planète abrite leur quotidien, si différent du nôtre. Il habite l’âme des personnages lunaires ou fêlés qu’ils s’inventent… au point qu’ils le deviennent pour de vrai, parfois!
En vérité, si vous croisez un artiste qui ne vous paraît pas, rien qu’un peu, bizarre, bizarre… regardez-y à deux fois. Peut-être s’agit-il d’un dangereux mythomane?

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Bizarre, bizarre…

I.
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Les chansons de "Bizarre, bizarre…"

NOVATEURS, DÉFRICHEURS
Charles Trénet - Le roi Dagobert (1950)
Antoine - Les élucubrations (1966)
Little Richard - Tutti Frutti (1964)
Rita Mitsouko - Marcia Bella (1985)
Bams - Après… (2005)

ÉTRANGES PERSONNAGES
Les frères Jacques - Le complexe de la truite (1956)
Boby Lapointe - Mon père et ses verres (1971)
Brigitte Fontaine - Le nougat (1988)
Björk - Human Behaviour (1995)
Les Wampas - Ma mère me rend folle (1998)

MOTS ZARBIS
Nino Ferrer - Oh! Hé! Hein! Bon! (1966)
Sanseverino - Michto la pompe (2004)
Elli Médeiros - Toi mon toit (1986)
Nosfell - Mindala Jinka (2004)
Tom Zé - Estupido rapaz (1968)

MUSIQUE SINGULIÈRES
Loïc Lantoine - Je cours (2003)
Alain Bashung - What’s in a bird (1983)
Magma - Kobaïa (1970)
Kraftwerk - Antenna (1975)
Lalo Schifrin - Mission Impossible (1968)
Asian Dub Foundation - Fortress Europe (2003)

Bizarre, bizarre…

Il faut bien entendu commencer par ces répliques :

“ Oui, vous regardez votre couteau et vous dîtes bizarre, bizarre. Alors je croyais que…

  • Moi, j’ai dit bizarre, bizarre, comme c’est étrange! Pourquoi aurais-je dit bizarre, bizarre?
  • Je vous assure mon cher cousin, que vous avez dit bizarre, bizarre.
  • Moi, j’ai dit bizarre? Comme c’est bizarre! “

“Drôle de drame” de Marcel Carné, chef-d’œuvre immortel du cinéma français… Sans cette scène d’anthologie jouée par deux des monstres sacrés du cinéma d’avant-guerre, Michel Simon et Louis Jouvet, l’objet que vous tenez en mains n’aurait pas ce titre-ci…

Depuis ce bref dialogue issu du génie de Jacques Prévert (qui était autant dialoguiste que poète), le mot “Bizarre” chez nous va toujours par deux: “Bizarre, bizarre”… Peut-être, parce que le mot lui-même est bizarre à prononcer. Avec ce “z” en son milieu, qui nous entraîne vers d’autres mots étranges, zigoto, zazou, zébulon, Zappa, Zavatta, zarzuela… zèbre… Bizarre EST bizarre…

L’ÉTRANGE TOUJOURS NOUS ÉCHAPPE
Définir le mot ne pose guère de problème : est bizarre ce qui sort de l’ordinaire, l’étrange, le déconcertant. En revanche, identifier avec précision ce que le mot décrit, tient du pari impossible. Voilà son charme : le bizarre nous surprend, nous déconcerte. Mais surtout, il nous échappe. On peut le tuer. On ne peut pas le contrôler.
Le bizarre n’apparaît pas également nécessaire à tous les individus. Les uns s’inventent un quotidien aux allures de happening permanent. D’autres ne lui laissent guère de place ou le relèguent dans un recoin de leur jardin intime dont nul n’a la clé. Il n’est pas totalement certain qu’Ernest-Antoine Seillière écoute à fond les albums de Lofofora dans son salon. Mais si nous venions à l’apprendre, cette révélation, en soi, relèverait de l’inattendu.

BANAL ICI, AILLEURS ZARBI
Le bizarre est personnel. Ce qui me semble bizarre (écouter avec plaisir chanter Lara Fabian; porter des chaussures à talons compensés; ou rire à Brice de Nice) à d’autres paraîtra normal. Le bizarre dépend des lunettes avec lesquelles chacun voit le monde, des idées et convictions, des connaissances. Cela dépend de notre âge, de notre ouverture d’esprit, de la vie plus ou moins terne que nous menons, de notre état psychologique, le cas échéant.
Ce qui vaut pour les individus vaut aussi pour les peuples. Certains rites appliqués dans certaines parties de la planète nous semblent incompréhensibles. Parfois, on les jugera choquants. Être différent, donc bizarre, parfois peut faire peur…

BOUSCULER L’HABITUDE
Dans le domaine qui nous passionne, la culture, et plus précisément la musique, le bizarre naît de ce qui surprend. Il s’agit de chahuter, bousculer les habitudes, les titiller, les piétiner, les manger crus. Charles Trénet et Mireille bousculèrent la chanson d’avant-guerre en y injectant poésie et sous-entendu. Brassens arrivait sur scène maugréant comme un ours, tournant quasiment le dos au public et lui jetant en vrac des chansons comme on en n’avait jamais entendues, qui parlaient de peine de mort, de chasse aux papillons et de son mépris pour la maréchaussée. Boris Vian mariait les musiques les plus légères aux sujets les plus dramatiques, passés à la moulinette d’un humour désespéré. Antoine déboula d’un coup dans la gentille sphère yéyé en évoquant la contraception. Bashung et son complice Maurice Bergman imposèrent des textes où nul ne comprenait rien… Le groupe Rita Mitsouko fit danser la France entière avec une chanson qui parlait de la mort et du cancer.

CERTAINS INVENTENT, LES AUTRES SUIVENT
Rétrospectivement, ce qui semblait naturel peut nous sembler “bizarre”. Ainsi, revoir les archives télévisées des années 70, ces chanteurs en chemises à jabot et costumes orange, les présentateurs arborant cols “pelle-à-tarte” et cravates à carreaux énormes, comme taillées dans de grosses couvertures en laine d’Écosse. Le kitsch d’aujourd’hui est le bizarre d’hier. Et parfois le renouveau de demain…

BIZARRE ET SURTOUT PAS N’IMPORTE QUOI
L’authentique création artistique jaillit d’une démarche, d’un regard, d’une vision du monde et de l’art. Le créateur poursuit sa logique. Il la fait évoluer, la bouscule, travaille sa matière sans relâche: le bizarre est tout, sauf spontané. Ce n’est pas, surtout pas, du “n’importe-quoi”.

En injectant du loufoque ou de l’inconvenance dans l’ordinaire, c’est la vie et l’espoir qu’il replace au cœur de l’instant présent. Sans bizarre, pas de création. Pas de vie. Pas d’avenir. L e bizarre est l’oxygène de nos existences.

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