Première authentique star française de l’après-guerre, le jeune immigré italien de Marseille Yves Montand fut sinon découvert, du moins propulsé au plus haut de l’affiche par Édith Piaf, avant de faire carrière au cinéma et sur toutes les scènes de music-hall du monde. Engagé, aux côtés de son épouse Simone Signoret, dans d’innombrables combats politiques, il représenta pour beaucoup une « conscience » ou, pour d’autres, « un homme qui passait sa vie à se tromper ». Au-delà, il demeure cet acteur immense, touchant au sublime dans des films de Costa-Gavras ou de Claude Sautet. Et l’une des plus grandes voix françaises de la seconde partie du XXe siècle doublée d’un sourire ravageur. Pour le dixième anniversaire de la fin de la guerre, en 1955, Montand offre une interprétation d’anthologie de la chanson historique qu’est « Le chant des partisans ».
Yves Montand
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ? Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, C'est l'alarme ! Ce soir l'ennemi…
Dix ans après la fin de la guerre, la France se reconstruit dans un climat très tendu et un environnement international inquiétant. La promesse de construire la paix est vite oubliée : en Corée, au Viêt-nam, au Guatemala, en Hongrie ce sont les armes qui parlent. À tout instant, l a guerre froide peut se réchauffer : les bombes atomiques font peur. De nombreux scientifiques dont les inventeurs de la bombe ainsi que des artistes se mobilisent pour la paix. Lueur d’espoir : Inde, Egypte et Yougoslavie contestent la rivalité URSS/États-Unis et créent le mouvement des non-alignés, tandis que Maroc et Tunisie deviennent indépendants. Le monde change et le progrès avance : magnétoscope, vaccins, télé couleur et premier disque dur voient le jour.
La mélodie simple de cette chanson pourrait l’apparenter à la famille des comptines, ces chansons d’enfance que nous mémorisons aisément et conservons au fond de notre mémoire. En revanche, son rythme binaire évoque les chants de marche, approprié à son texte. Une étonnante mise en scène est suggérée: une colonne de soldats allemands passe et un sifflement invite les partisans cachés dans les fourrés à reprendre leur route. La chanson débute a capella, avant d’être accompagnée d’un accordéon, l’instrument populaire s’il en est. Le chant gagne en amplitude avant le retour menaçant d’une autre colonne allemande, puis s’affirme jusqu’à ce qu’un chœur imposant, évocation de la multitude des partisans enfin rassemblés, vienne conclure dans une emphase libératrice. Cette musique est composée en 1942 par la chanteuse d’origine russe Anna Marly, elle-même engagée dans la résistance.
C’est un chant de mobilisation et de combat, un hymne. Écrites par l’écrivain Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon, tous deux résistants, les paroles ne font pas de détour : elles magnifient le combat des partisans, en soulignent la dureté et appellent à y prendre part sous toutes ses formes. Elles sont impitoyables, comme l’est la guerre. Mais ce sont des paroles d’espoir pour ceux qui la sifflent discrètement, comme par défi. La France y est judicieusement évoquée: ouvriers, paysans, mines, collines, paille autant de mots auxquels l’auditeur attachera des images familières, celles de la patrie qu’il faut défendre.
Abondamment diffusé sur la BBC, puis signe de reconnaissance dans les maquis Le chant des partisans est devenu un succès mondial. Le groupe Zebda en a fait une version colorée en 1997, “Motivés”. Le manuscrit original est classé “Monument historique”.
La pochette de l'album Le chant des partisans