C’est souvent avec un vrai délice que nous refermons sur nous la porte de notre chambre… “Enfin seul(e), enfin dans mon univers à moi, pour moi, à l’abri des autres. À l’abri de leur regard, de leur jugement”, nous disons-nous. Curieusement, alors que nous n’avons jamais envie d’être enfermé, les quatre murs de la chambre nous rassurent. Nous y fabriquons notre intimité: des photos et des posters sur les murs, de la musique sur CD, ordinateur ou téléphone, des bouts de papiers ou des objets sans queue ni têt dans les tiroirs. Parfois, on les oublie dans les habits et, catastrophe, ils partent à la lessive. Pourvu alors que les parents ne tombent pas dessus…
Pour beaucoup, cet espace “privé” qu’est la chambre, c’est celui de la réflexion, celui de l’imagination. Combien de poèmes, de romans ont été écrits dans l’espace clôt de la chambre? Combien de chansons ou de symphonies composées dans ce lieu clos, avec l’aide d’un instrument et de quelques feuilles de papier? Impossible à compter. Remarquons cependant que la chambre n’est pas si fermée qu’il n’y paraît: il y a toujours une fenêtre qui nous ouvre sur le monde proche et d’où nous pouvons observer sans être vu. On se transforme alros en voyageur, curieux de ce que font les autres, parfois prêt à en rire mais toujours disponible pour échafauder des scénarios sur ce que nous voyons. Que va-t-il se passer, quelle direction va prendre ce piéton? Que transporte-t-il de si lourd? Que se passe-t-il derrière ces rideaux? Le grand cinéaste anglo-américain Alfred Hitchcock, maître incontesté du suspense, en a tiré un film fameux: “Fenêtre sur cour”. C’est sans doute à travers cette fenêtre que les écrivains que nous imaginons penchés sur leur bureau à écrire tirent un peu de leur imagination, au fil de rêveries contemplatives. Nous aussi, nous nous trouvons souvent rivés au bureau pour faire les devoirs ou écrire une lettre∞ Une lettre d’amitié ou une lettre d’amour, dont on pèse les mots dans le calme de la solitude. C’est également dans la chambre que s’écrit le journal intime qui mêle la relation de nos journées et des réflexions, des poèmes et des dessins. Des générations et des générations s’y sont employées. De là sont sortis des écrivains fameux, dont le journal, retrouvé souvent des années plus tard, fait la joie des critiques littéraires et des lecteurs assidus. À ce moment, l’intime devient public, des pans cachés de leur personnalité nous apparaissent, souvent pour le meilleur, parfois pour le pire.
Si espace privé et espace public ont toujours été voisins, une frontière a toujours existé entre eux.
Mais aujourd’hui les choses changent, la feuille et le stylo ont trouvé un redoutable concurrent avec le clavier: celui de l’ordinateur ou du texto. Et c’est une révolution! Car le blog que l’on rédigé avec le premier n’est pas destiné à rester secret, caché dans un tiroir ou sous le linge: il est fait pour être lu par tous, par le plus grand nombre, si possible. L’espace privé se retrouve illico transformé en espace public. Et la plume de l’auteur reste-t-elle sincère, si l’objectif est de faire de l’audience? Vieux dilemme, bien connu des chanteurs confrontés au succès: rester soi-même ou vendre davantage de disques? Certains font les deux, chapeau!
Quant au texto, il n’envoie que des messages courts, rédigés dans un français pouvant faire hurler le prof de lettres: finies les longues phrases descriptives. Comment résumer ses sentiments en quelques mots bizarres? Et pourtant, ça marche!
Mais un danger plus pernicieux rôde dans le monde des médias. Pendant longtemps, les journaux télés et radios mettaient un point d’honneur à inviter leur lecteur ou auditeur à comprendre le monde en respectant la vie privée. Ils prennent d’autres habitudes. La multiplication des revues “people” et des émissions de télé-réalité dans lesquelles sont exhibées les photos d’une intimité volée souvent à prix d’or par les paparazzis (ces photographe^he sans scrupules qui vendent très cher des clichés pris sans l’accord — est-ce toujours le cas? — des célébrités) et le confidences de ces même “people”, nous inondent d’informations dont, en fait, nous n’avons pas grand chose à faire. Mal de notre époque? Sans doute ! Celle-ci semble repaître de ma vie des autres, de sa mise en pâture, comme si on nous invitait à mesurer l’intérêt des choses et des gens à leur look ou à leurs frasques plutôt qu’à la réalité. “Les apparences avant tout” est devenue la devise de ces médias. Les vacances luxueuses de telle personnalité font-elles oublier à des lecteurs qu’ils n’en prennent pas? Peut-être bien… On se satisfait parfois de savoir que d’autres n’ont pas de problèmes.
Beaucoup de journaliste, penseur et écrivains s’inquiètent cependant de cette dérive. À tant être
abreuvés d’images et de ragots superficiels, ne risquons-nous pas de perdre notre propre esprit critique, cette précieuse faculté à comprendre et à se faire son opinion soi-même? Le danger est réel et l’enjeu de taille: deviendrons-nous ainsi des moutons, manipulables à merci par les stratèges de la publicité et du marketing, ces redoutables machines à penser? En outre, avec la multiplication des systèmes de vidéosurveillance dans les centres commerciaux, les bâtiments publics et même la rue; avec les gigantesques ordinateurs qui filtrent nos mails, nos SMS et nos conversations sur le téléphone, il y a de quoi prendre peur!
Alors vite, retournons dans notre espace intime, pas pour nous y recroqueviller, mais pour savoir être nous-mêmes. Et veillons à n’y admettre que ceux et celles que nous y invitons. Et apprenons à respecter l’intimité des autres.
Finalement, un secret doit rester un secret et “ce que je pense et fait” demeure mon affaire, tant que ça ne fait de mal à personne. “Sans liberté, on est moins que rien du tout” chantait le grand chanteur américain Bob Dylan, expert en écriture et en secrets.